Le réseau électrique français peut-il alimenter un parc automobile français composé à 40% de véhicules électriques ?

Par Hugo Kielwasser & Arthur Rigaud, étudiants ESTA Belfort, 06/2020

Mots-clés: #voiture #électrique #consommation #RTE

Le 24 décembre 2019, l’Assemblée Nationale a promulgué la loi d’orientation des mobilités, visant notamment à interdire la vente des véhicules à énergies fossiles d’ici 2040 (vie publique 2019). De plus, de nombreuses grandes villes françaises souhaitent bannir les véhicules diesel et autres véhicules polluants, et ce dès 2025 (RTL 2019). L’alternative à ces véhicules polluants semble se tourner entièrement vers les voitures électriques. Bien que cette alternative soit pour le moment très peu répandue notamment dû au prix élevé de ce type de véhicules, elle semble très prometteuse dans les années à venir. Néanmoins une question revient souvent: serons-nous capable de produire assez d’électricité afin d’alimenter les recharges nécessaires à plusieurs millions de véhicules électriques ?

Aujourd’hui, près de 270 000 véhicules électriques ou hybrides sont en circulation (Clubic 2019), cela représente moins d’un pour cent du parc automobile actif en France. Cependant, la tendance est à la hausse puisqu’en 2019, ce nombre a augmenté de presque 40% par rapport à l’année précédente. En 2019 d’après le bilan énergétique de la RTE (2019), la France a produit un total de 537,7 TWh pour une consommation de 474 TWh (Connaissance des énergies 2020), consommation qui est relativement stable depuis 20 ans. À noter que la France est le pays d’europe qui exporte le plus d’électricité à l’heure actuelle. Le transport ne représente que 3% de notre consommation d’électricité notamment pour les métros, trains et autres transports en commun électriques, ce qui représente environ 14 TWh. (RTE 2019) Lorsque l’on compare la part du transport dans la consommation électrique totale en France avec le nombre d’immatriculation de véhicules hybrides et électriques depuis 2010 (figure 1), on remarque que, contrairement à ce que l’on pourrait penser, il n’y a pas de corrélation directe. Le nombre d’immatriculation chaque année de véhicules électriques et hybrides en France a été multiplié par 70, pendant que la part du transport dans la consommation électrique a augmenté seulement de 1,2%. Les véhicules électriques et hybrides ont donc, à ce jour, qu’une très faible influence sur la consommation d’électricité en France.

Figure 1 : Consommation électrique dans les transports en fonction du nombre d’immatriculation

Selon RTE (Réseau de Transport d’Électricité) (2019), le parc automobile électrique français devrait atteindre 15,6 millions de véhicules dans sa prévision la plus forte d’ici 2035. La filiale d’EDF a publié dans son étude nommée “Les enjeux du développement de l’électromobilité pour le système électrique” plusieurs prévisions qui varient en fonction de différents scénarios de croissance de l’électromobilité en France. Toujours selon RTE la production d’électricité devrait avoisiner les 640 TWh en 2035 tandis que la consommation devrait rester stable ou même diminuer, même en y additionnant la consommation liée aux véhicules électriques. Cela peut surprendre et on pourrait penser que la consommation augmenterait drastiquement, mais les choses devraient avoir changé en 2035: La France est engagée dans un processus de transition énergétique qui vise à faire d’importantes économies d’énergie, notamment grâce à des bâtiments mieux isolés et des appareils électroménagers moins énergivores. Les 15.6 millions de véhicules électriques représentent environ 35 à 40 TWh, ce total avoisinerait les 60 à 65 TWh en y ajoutant les métro, trains et autres transports en commun. Soit environ 10% de la consommation totale d’électricité.

Figure 2 : Estimations de la consommation du parc français en 2035
Source: RTE (2019)

D’après la figure 1, le système électrique français sera capable de supporter l’accroissement du nombre de véhicules électriques d’ici 2035. Néanmoins, certaines craintes sont toujours présentes concernant les pics de consommation. La plupart des trajets effectués en voiture sont des trajets courts d’environ 30 kilomètres. Les recharges pour compenser la consommation de ces trajets journaliers représentent quelques kilowatts par soir ou bien une plus grosse recharge par semaine. Si 15 millions de véhicules électriques sont branchés en même temps (notamment entre 19h et 21h en hiver) le réseau pourrait avoir quelques difficultés à supporter cette quantité soudaine d’électricité à fournir. Il serait alors fondamental d’effectuer un pilotage de la recharge afin de lisser l’appel de puissance et éviter une trop grande demande lors d’une même période. Concernant les trajets de longue durée (supérieur à 250 kilomètres), ils représentent que 15% des distances parcourus annuellement (Connaissance des énergies 2019). Ces recharges plus importantes ne sont pas non plus inquiétantes selon les spécialistes, elles interviennent principalement durant les périodes de vacances ou de longs week-ends. Lors de ces périodes, le système dispose de marges abondantes d’électricité car la consommation nationale est plus basse.

Un parc automobile français composé de plus en plus de véhicules électriques serait même bénéfique économiquement pour le marché et pour les automobilistes. L’importation de pétrole représente plus de 5 milliards d’euros par an, soit jusqu’à 8 fois le coût de production de l’énergie nécessaire à la recharge des véhicules électriques. Concernant les automobilistes, le budget carburant annuel pourrait être divisé par 3 en cas d’utilisation de véhicules électriques. Une étude assure qu’un automobiliste en voiture électrique classique, parcourant 15 000 kilomètres par an et qui effectue les recharges à domicile dépenserait environ 400 euros de carburant annuellement. Concernant les coûts d’entretien, ils sont en moyenne 25% inférieur pour les voitures électriques à kilométrage égal.

Des investissements sont tout de même à prévoir afin de permettre l’agrandissement du parc automobile électrique, notamment concernant les bornes de recharge. En France, il y a en 2020 un peu moins de 30 000 bornes de recharges publiques pour véhicules électriques. Selon un article des Echos (2019) qui se base sur une étude du groupe de recherche transport & environnement et la figure 2, la France devra compter d’ici 2030 plus de 450 000 bornes de recharges publiques si elle veut être climatiquement neutre avant 2050. L’installations de ces 420 000 bornes est un gros investissement puisque selon une étude (Breezcar 2014) le prix d’une borne de recharge rapide peut aller jusqu’à 43 000 euros et entre 5000 et 10 000€ pour une borne sur un parking public. Cet investissement peut donc se mesurer en milliards d’euros ce qui pourrait freiner l’installation de celles-ci.

Figure 3 : Prévision du nombre de bornes de recharge nécessaire en Europe en 2030
Source : Les Echos (2020)

Le passage de 270 000 véhicules électriques à plus de 15 millions dans les 15 prochaines années est un objectif majeur dans le cadre de la transition énergétique de la France, mais qui ne devrait pas poser de problème important au système électrique français. En effet la part des transports sur la consommation totale des français ne serait que de 10% en 2035 ce qui, au final, n’est pas énorme comparé à ce que nous consommons quotidiennement pour le chauffage ou l’éclairage par exemple. Ce passage à l’électrique serait même bon pour notre porte-monnaie, autant pour les particuliers que pour la France. Cependant, comme nous l’avons vu, quelques craintes persistent notamment lors des pics de consommation ou le pilotage de la recharge pourrait être nécessaire, des dépenses seraient également à prendre en compte pour l’installation de nouvelles bornes de recharges dans l’Hexagone. Pour poursuivre dans le thème de la transition énergétique il serait intéressant de se pencher sur l’impact écologique de la fabrication d’une telle quantité de véhicules électriques qui est plus polluant à la fabrication qu’un véhicule à énergie fossile.

Références

Benoit Théry, (2019). Baromètre: Combien y a t-il de voiture électriques en circulation en France  [online]. Clubic. [Viewed 09 May 2020]. Available from:  https://www.clubic.com/transport-electrique/actualite-872366-barometre-combien-voitures-electriques-circulation-france.html

Connaissance des énergies., (2020). Bilan électrique de la France: que retenir de 2019 ? [online]. Connaissance des énergies. [Viewed 09 May 2020]. Available from: https://www.connaissancedesenergies.org/la-production-delectricite-en-france-metropolitaine-tous-les-chiffres-cles-de-2019-200212-0

Connaissance des énergies., (2019). Voitures électriques : l’intérêt du pilotage de la recharge souligné par RTE [online]. Connaissance des énergies. [Viewed 09 May 2020]. Available from: https://www.connaissancedesenergies.org/voitures-electriques-linteret-du-pilotage-de-la-recharge-souligne-par-rte-190604

Fabrice Spath, (2014). Etude : quel est le vrai prix d’une borne de recharge ? [online]. Breezcar. [Viewed 09 May 2020]. Available from: https://www.breezcar.com/actualites/article/prix-borne-de-recharge-voiture-electrique-devis-2014

Les Echos, (2020). Voiture électriques : Les bornes de chargement, un défi pour l’Europe [online]. Les Echos. [Viewed 09 May 2020]. Available from: https://www.lesechos.fr/industrie-services/automobile/voitures-electriques-les-bornes-de-chargement-un-defi-pour-leurope-1161258

Paul Turban , (2019). Voitures diesel: quelles sont les villes qui ont acté une interdiction ? [online]. RTL. [Viewed 09 May 2020]. Available from:  https://www.rtl.fr/actu/debats-societe/voitures-diesel-quelles-sont-les-villes-qui-ont-acte-une-interdiction-7798364400

RTE France., (2019). Enjeux du développement de l’électromobilité pour le système électrique [online]. RTE France. [Viewed 09 May 2020]. Available from: https://www.rte-france.com/sites/default/files/rte_-_mobilite_electrique_-_principaux_resultats_-_vf.pdf Vie Publique., (2019). Loi du 24 décembre 2019 d’orientation des mobilités [online].

Vie Publique. [Viewed 09 May 2020]. Available from: https://www.vie-publique.fr/loi/20809-loi-du-24-decembre-2019-dorientation-des-mobilites-lom

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8 commentaires

  1. Bonjour,

    Vous parlez d’une gestion des pics de consommation, ce qui est pour moi l’enjeu le plus important dans cette transition aux véhicules électriques. Comme vous le décrivez, il semble inévitable que si dans un avenir proche tout le monde roule en voiture électrique, tout le monde la branche le soir pour la recharger, ce qui causerait un pic de consommation. J’ai cependant vu que Nissan (et Renault ?) travaillaient sur un système permettant d’inclure la voiture électrique au circuit électrique commun, c’est à dire qu’en cas de forte demande, l’énergie stockée dans les batteries de la voiture électrique peut être utilisée et être redistribuée sur le réseau. Pensez-vous que cette solution soit la solution pour contrer ces pics de consommations ? Je pense que c’est une bonne idée, mais reste à voir comment cela sera géré. Je n’apprécierais pas brancher ma voiture électrique dans l’espoir de la recharger et la récupérer avec moins de batterie que lorsque je l’ai branché ! Je pense néanmoins que l’intelligence artificielle pourrait être capable de gérer ça de façon pertinente, il ne reste plus qu’a voir !

    Prenez soin de vous

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  2. Bonjour à vous, sympas cet article !

    Comme vous l’avez évoqué, la production des véhicules électrique est plus polluante que celle d’un véhicule thermique. Etre capable d’alimenter un parc de véhicule électrique est bien, mais aurons nous la capacité à produire autant de véhicules électriques ? Est-ce que l’énergie nécessaire au « recyclage » des batteries (qui apparement ne sont pas recyclables et deviennent donc un déchet) est prise en compte également ? Pensez vous que la mobilité électrique soit vraiment LA solution ?

    De mon point de vu je ne suis pas persuadé qu’il soit pertinent de miser autant sur l’essor des voitures électriques, et que les voitures à hydrogènes ont plus de potentiel. Mais dans les 2 cas l’enjeu principal reste en effet l’approvisionnement en électricité/hydrogène et les infrastructures qui en découlent…

    Merci encore pour votre travail de recherches, c’est top !

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  3. Bonjour à vous,
    Tout d’abord merci pour cet article de qualité !
    Effectivement l’alimentation du par automobile électrique est une grande question dont beaucoup se creusent la tête actuellement.
    J’ai pu observer à travers mes différentes recherches sur le sujet que l’une des méthodes pour pallier à ce problème et également au temps que met la recharge d’un véhicule, serait de créé des batteries universelles et disposer des centres de change de batterie partout en France.
    En effet, l’utilisateur au lieu de brancher sa voiture et attendre plusieurs dizaines de minutes seraient capable de la recharger en quelques secondes tout simplement en la remplaçant.
    Pensez-vous que cette méthode mérite qu’on s’y intéresse, et surtout que pensez-vous de cette dernière ?

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  4. Bonjour Arthur et Hugo,
    Merci pour votre article et vidéo qui sont concis.
    La première question qui me vient en lisant votre article est pourquoi avoir choisi un parc automobile composé de 40% de véhicules électriques ? Il y a-t-il une signification derrière ce chiffre ou bien a-t-il été pris au hasard ?
    La consommation d’électricité au niveau nationale devrait rester stable, voir même baisser. Pourtant la production devrait augmenter de presque 20% en 15 ans (537 TWh en 2019 et 640 TWh en 2035). Se surplus de production viendrait principalement de l’augmentation des énergies renouvelable. La question que je me pose c’est à quoi servira ce surplus ?
    La question de se pencher sur l’impact écologique de la fabrication d’une telle quantité de véhicules électriques est vraiment très intéressante.

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    1. Bonjour Adrien,
      Tout d’abord merci pour votre commentaire positif sur notre travail!
      Nous avons choisi un parc automobile français composé à 40% de véhicules électriques car se sont les estimations sur lesquelles s’appuient les spécialistes.
      Ensuite, il faut savoir que la France est le premier pays exportateur d’électricité d’Europe en 2019. Le surplus d’électricité produite pourra donc être revendue à nos pays voisins.
      En espérant avoir convenablement répondu à vos questions.

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  5. Bonjour et merci pour cet article très enrichissant.
    En plus de la question de la production vous abordez aussi la question de la disponibilité des prises pour voitures électriques, quelle est selon vous la situation actuelle et comment pourrait elle être amélioré si besoin ?
    En effet, on peut imaginer que la mise en place de la voiture électrique va être plus compliqué du fait qu’elle ne peut être réservé qu’aux milieux urbains.
    Pensez vous que des stations sur l’autoroute de prise électrique ou en nationale pourraient être rentable et devenir un futur business model pour des entreprises comme Total ?
    Merci de votre futur réponse

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    1. Bonjour Quentin,
      Tout d’abord merci beaucoup pour votre retour positif sur notre article cela nous fait très plaisir!
      Concernant la disponibilité des prises pour voitures électriques, la situation en France n’est pas très bonne comparé à d’autres pays tels que l’Allemagne ou les Etat-Unis. Néanmoins, cela s’améliore et Tesla annonce régulièrement l’ouverture de nouvelles stations de recharge afin de mieux couvrir le pays.
      Ensuite, je ne pense pas que la voiture électrique soit un moyen de transport réservé uniquement aux milieux urbains. Comme nous le disons dans notre article, la plupart des déplacements représentent des trajets d’environ 30 kilomètres. Même pour une personne habitant à la campagne et effectuant 50 kilomètres par jour, il est possible de compenser cette consommation à l’aide d’une recharge sur une simple prise domestique (environ 15 km d’autonomie en 1 heure de charge).
      De ce fait, les bornes de recharge rapide (type Superchargeurs Tesla) ont effectivement surtout un intérêt sur les stations d’autoroute et les grands axes nationaux, lors de trajets plus longs.
      Encore merci pour ton retour, en espérant avoir répondu à vos interrogations!

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  6. Bonsoir et merci pour vos recherches,
    Une qui m’ait venu pour éviter ces pics de consommation et ainsi pouvoir beaucoup plus facilement avoir un parc automobile 100% électrique supporté par le réseau. Serait-il possible de charger le véhiculer à la fois durant la journée sur le lieu de travail et à la maison pendant la nuit ? Il serait ainsi possible à l’aide d’une intelligence artificielle de gérer la consommation horaire de ces recharges et les répartir sur le temps en fonction des besoins et horaires de chacun ?
    Le seul problème resterait alors de pouvoir disposer de bornes de recharge à la fois chez soi et au travail, toutes interconnectées.
    Encore merci et bonne soirée.

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