Réfugiés écologiques et réchauffement climatique sont-ils liés ?

Par Mathilde Ricklin & Charlotte Wolf, étudiantes ESTA Belfort, 05/2020

Mots-clés: #réfugiés écologiques #migrations climatiques #changements climatiques #élévation du niveau de la mer

Qu’estce qu’un réfugié climatique ?

En 1985, Essam El-Hinnawi introduit pour la première fois la notion de “réfugiés environnementaux” lors d’un rapport du PNUEi(El-Hinnawi 1985). Récemment évoqué dans la littérature, on observe différentes qualifications de ces personnes, qui sont contraintes à se déplacer suite aux conséquences des changements climatiques : migrants de l’environnement, migrants climatiques, réfugiés de l’environnement, réfugiés écologiques, éco-migrants, etc…

L’Organisation Internationale pour les Migrationsii définit un migrant climatique, comme étant “une personne ou un groupe de personnes qui, principalement pour des raisons de changement soudain ou progressif de l’environnement en raison du changement climatique, sont obligées de quitter leur lieu de résidence habituel, ou choisissent de le faire, temporairement ou définitivement, à l’intérieur d’un État ou au-delà d’une frontière internationale” (OIM 2020)

Combien sont-ils ?

La quantification du nombre de réfugiés de l’environnement est très compliquée à établir. D’un part, il est difficile de connaitre exactement les raisons de la migration. D’autre part, il est d’autant plus complexe de compter les personnes contraintes de migrer suite à des changements climatiques progressifs, comme la sécheresse, et celles ayant dû quitter leur habitation en raison de conséquences indirectes aux changements climatiques, comme les crises sanitaires liées à l’eau en raison de l’augmentation des températures.

Dans diverses publications sur les réfugiés écologiques, les chiffres sont controversés. On juge qu’il n’y a pas d’estimation fiable du nombre de personnes quittant leur foyer en raison de facteurs environnementaux, que ce soit aujourd’hui où bien dans l’avenir. En 1995, 25 millions de personnes auraient été contraintes de se déplacer à la suite de changements climatiques (OIM 2008). L’Organisme Internationale pour les Migrations indique qu’il y aurait entre 21 et 24 millions de personnes déplacés par an pour cause de catastrophes naturelles. On estime jusqu’à 1 milliard, le nombre de réfugiés climatiques d’ici 2050. De plus, la Banque Mondiale estime qu’il y aurait 143 millions de migrants de l’environnement supplémentaires à l’intérieur d’un même pays, si d’ici 2050 les objectifs de l’Accord de Paris sur le climat ne sont pas respectés (Le Monde 2018).

Quelles sont les causes des migrations climatiques ?

Les raisons des mouvements migratoires sont diverses et variés : trouver un travail, améliorer ses conditions de vie, fuir une situation de guerre et de violence ; ou encore une situation économique instable, échapper à une pression environnementale, destruction de l’habitation à la suite d’une catastrophe naturelle, etc… C’est sur ces derniers points que nous allons nous concentrer. En effet, il existe de nombreux phénomènes climatiques entraînant une dégradation de l’environnement pour lequel les habitants sont contraints de migrer tels que : la sécheresse, les cyclones tropicaux, les tempêtes, les inondations et l’augmentation du niveau de la mer.

La sécheresse :

Dans les zones arides, elle entraînent des terres difficilement cultivables ; qui poussent les habitants à se déplacer pour continuer à planter et cultiver afin de se nourrir. Entre 2000 et 2010, on estime que le nombre de personnes touchées par des catastrophes climatiques, comme des températures extrêmes, des sécheresses ou incendies de forêts ; est de l’ordre de 81,8 millions par an. Entre 2010 et 2019, cela représente 68,4 millions de personnes par an (EM-DAT 2020). Même si nous pouvons constater une diminution de ces chiffres, le GIECiii prévoit qu’entre 74 et 250 millions de personnes, seront touchées en 2020, par des pénuries d’eau en Afrique et en Asie.

Les cyclones tropicaux et tempêtes :

Il y a un fort risque d’augmentation des catastrophes naturelles à l’avenir, sans vraiment pouvoir déterminer les endroits exacts et quantifier cette augmentation d’après les scientifiques. En revanche, l’intensification des tempêtes et des cyclones est nettement observée. En effet, ils ont des effets dévastateurs de plus en plus violents. A cause du réchauffement climatique, les cyclones provenant des océans, trouvent de plus en plus de puissance, du fait de l’élévation de la température des eaux. En effet, nous avons constaté une augmentation de la température des eaux tropicales a de 1,2°C entre 1970 et 2004 (contre 0,5°C en moyenne pour les océans), (Notre planète info 2020). Entre 2000 et 2010, on évalue à 23,5 millions, le nombre de personnes, qui auraient été touchées par un cyclone tropical chaque année et à 36,4 millions par une tempête. Et entre 2010 et 2019, on estime à 19,4 millions, le nombre de personnes, qui auraient été touchées par un cyclone tropical par an et 32,1 millions par une tempête (EM-DAT 2020). Ces chiffres nous laissent imaginer le nombre de personnes contraintes, de se déplacer. De plus, lorsque qu’une zone est soumise à des catastrophes naturelles répétées, on remarque un fort taux d’émigration. Plusieurs études montrent ainsi, qu’une fréquence élevée d’inondations, de tempêtes ou d’ouragans incite les habitants à quitter leur ville ou leur pays.

Les inondations :

L’augmentation des températures est une conséquence directe du réchauffement climatique et cela influe sur le nombre d’inondations ainsi que sur leur intensité. En effet, plus les eaux de mers sont chaudes, plus il y a de vapeur d’eau stockée dans l’atmosphère ce qui induira une augmentation des précipitations. Comme les températures augmentent, les pluies gagnent en intensité et donc les dégâts sont de plus en plus considérables et conduisent à un mouvement des populations touchées.

Entre 2000 et 2010, chaque année, 103,6 millions de personnes auraient été touchées par les inondations, et 68,9 millions entre 2010 et 2019 (EM-DAT 2020). Les inondations survenant brutalement engendrent de gros dégâts et sont donc susceptibles de provoquer un déplacement et une fuite des individus. Au cours de la dernière décennie, plusieurs inondations et cyclones tropicaux ont dévasté l’un des pays les plus pauvres du monde, le Mozambique, situé dans le Sud-Est de l’Afrique, notamment dans les zones basses et les deltas.

Moyenne du nombre de personnes touchées par une catastrophes naturelles par an (en millions) (EM-DAT 2020)

L’élévation du niveau de la mer :

L’élévation du niveau des mers est un facteur environnemental, et une conséquence du réchauffement climatique qui se révèle très menaçant en termes de migration forcées à long terme. Ainsi, en l’absence de digues, on ne peut éviter les migrations progressives et planifiées. Après une élévation stable durant plusieurs millénaires, depuis le XXe siècle nous pouvons constater que l’élévation du niveau de la mer s’est accélérée. Ce phénomène est une conséquence du réchauffement climatique la plus inquiétante et la plus médiatisée, qui aura pour conséquence la disparition éventuelle de certain États insulaires.

En 2007, Mac Granhan, définit les zones côtières basses, comme étant situées à une altitude de moins de 10 mètres. Même si ces zones ne représentent que 2,2% des terres émergées de la planète, elles sont habitées par 10,5% de la population mondiale, ce qui représente environ 602 millions d’individus, soit approximativement 9 fois l’ensemble de la population française.

En 2010, on constate que 4,96% de la population mondiale totale vit sur des terres dont l’altitude est inférieure de 5 mètres au niveau de la mer. Les Etats ayant plus de 30% de leurs habitants, vivant sur ses terres sont : les Pays-Bas avec 58,5% de leur population mais aussi le Suriname, les Îles Turques-et-Caïques, les Maldives, le Tuvalu, le Groenland, la région administrative spéciale de Macao en Chine, le Viet Nam, les Îles Marshall et le Bahreïn (La Banque Mondiale 2010)

Population vivant sur des terres dont l’altitude est inférieure à 5 mètres en 2010 (en % de la population totale) (La Banque Mondiale 2010)

Au cours du XXe siècle, nous mesurons une élévation du niveau de la mer d’environ 20 cm. Peut-on alors corréler l’accélération de la montée des eaux avec les changements climatiques ? Des chercheurs ont quantifié l’influence de l’augmentation du niveau de la mer selon plusieurs paramètres, directement liés au réchauffement climatique ; comme, le réchauffement des températures des mers, ainsi que la fonte des glaces terrestres, qui se déverse dans les océans (Météo France 2020).

En 2013, le GIEC fournit une nouvelle évaluation concernant l’élévation du niveau de la mer. Cette fois, une augmentation de 26 à 82 cm serait à prévoir d’ici la fin du siècle. Cependant, cet intervalle n’est pas figé et se pourrait être encore supérieure, notamment par la fonte des glaces au Groenland et en Antarctique, qui serait aujourd’hui encore sous-estimée. Les chercheurs travaillent toujours à une meilleure modélisation de ces fontes dans le but de pouvoir fournir des mesures précises sur ce phénomène.

Projection du niveau de la mer moyen global en fonction des années (Météo France 2020).

Zoom sur les Pays-Bas

Comme leur nom l’indique, les Pays-Bas sont en première ligne face à la montée des eaux. Aujourd’hui 26% des terres aux Pays-Bas se trouve sous le niveau de la mer et 47% de sa population vit dans des zones déjà conquises par la mer (GEO 2019).

Selon une étude publiée fin 2017, par des chercheurs de l’Université d’Utrecht, d’ici 2100, le niveau de la mer du Nord pourrait s’accroître d’approximativement 1m50. Depuis 1910, et à cause du changement climatique, on constate une augmentation de 25% des fréquences des précipitations dans le pays (France TV Info 2015).

Les Pays-Bas si le niveau de la mer augmente d’un mètre (France TV Info 2015).

Néanmoins, les autorités réfléchissent déjà à comment protéger leur pays et leur population. En 2014, le gouvernement des Pays-Bas a annoncé un plan de subvention de 20 milliards d’euros sur trente ans. Il contribuera, entre-autre, au renforcement des 200 digues du pays, afin qu’elles ne cèdent pas en pleine tempête, comme cela a déjà été le cas en 1953 ; où on dénombre 1 800 disparu, suite à la brusque montée des eaux. Le pays cherche à s’adapter et mettent en place des solutions, comme par exemple, la construction de ponts ou encore l’aménagement d’îles artificielles avec un nouveau concept de maisons flottantes qui séduit les zones côtières mais aussi les villes comme Amsterdam (GEO 2019).

Quelles sont les mobilisations pour les réfugiés climatiques?

En 2008, l’Organisation International des Migrations, a rendu public un rapport à ce sujet. Les “Migrations et changement climatique”, expriment le phénomène de mouvement migratoire qui sont liés à des éléments environnementaux (OIM, 2008). De plus, la Conférence de Paris de 2015, ayant donné lieu à l’Accord de Paris sur le climat, ne mentionne pas les réfugiés climatiques, qui sont pourtant aujourd’hui une conséquence directe du réchauffement climatique. Lors des réunions internationales sur le climat, la problématique des réfugiés écologiques est très peu abordée, bien que celle-ci soit une conséquence directe du réchauffement climatique.

Conclusion

Comme nous avons pu le constater, les conséquences du réchauffement climatique, sont nombreuses et variées, et les migrations climatiques, sont l’une d’entre elles. Cette catégorie de migration ne sont pas récentes, elles ont toujours existé. Néanmoins depuis plusieurs années, leurs rythmes s’accélèrent ce qui rend cette problématique de plus en plus présente et inquiétante. Avec l’augmentation des températures, les catastrophes naturelles sont plus nombreuses et plus intenses, ce qui engendre de plus en plus de mouvements de population. Cependant, le lien de causalité entre le changement climatique et le déplacement des personnes n’est pas facile à déterminer. De ce fait, leur statut est encore compliqué et mal défini, ce qui rend pour l’instant, l’accès aux aides et indemnités difficile.

Une étude de la Banque Mondiale, indique que le nombre de migrants climatiques internes, pourrait être réduit de 80 % (soit 100 millions de personnes), si la communauté internationale intensifie ses efforts de réduction des émissions de gaz à effet de serre et que les pays se dotent de plans de développement solide (Le Monde 2018). De plus, pour limiter le nombre de migrations climatiques, il faudrait identifier les zones les plus menacées et encourager leurs habitants à se déplacer, dès à présent. Or, nous doutons fort que cela soit réalisable, car aujourd’hui les réfugiés climatiques, ne sont pas le centre d’intérêt, lors des débats sur le climat.

i PNUE : Programme des Nations unies pour l’environnement
ii OIM : Organisation Internationale pour les Migrations
iii GIEC : Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat

Références

El-Hinnawi, E., (1985). Environmental Refugees. United Nations Environment Programme

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GEO., (2019). Face à la montée des eaux, les Hollandais nous donnent raisons d’espérer. [En ligne]. GEO. [Vue le 15 mars 2020]. Disponible depuis : https://www.geo.fr/environnement/pays-bas-face-a- la-montee-des-eaux-les-hollandais-nous-donnent-des-raisons-desperer-193883

IOM UN Migration., (2020). Key Migration Terms. [En ligne]. IOM UN Migration. [Vue le 8 mars 2020]. Disponible depuis : https://www.iom.int/key-migration-terms#Climate-migration

La Banque Mondiale., (2010). Population vivant sur des terres dont l’altitude est inférieure à 5 mètres. [En ligne]. La Banque Mondiale. [Vue le 9 mars 2020]. Disponible depuis : https://donnees.banquemondiale.org/indicateur/EN.POP.EL5M.ZS?view=chart

Lassailly-Jacob, V., Gonin, P., (2002). Les réfugiés de l’environnement. Migration et environnement vol.18 n°2. pp 136-160

Le Monde., (2018). La Banque mondiale s’inquiète du sort des déplacés climatiques. [En ligne]. Le Monde. [Vue le 15 mars 2020]. Disponible depuis :
Available at: https://www.lemonde.fr/climat/article/2018/03/19/143-millions-de-deplaces- climatiques-attendus-en-2050-selon-la-banque-mondiale_5273321_1652612.html

Meteo France., (2020). Changement climatique et hausse du niveau de la mer. [En ligne]. Meteo France. [Vue le 15 mars 2020]. Disponible depuis : http://www.meteofrance.fr/climat-passe-et- futur/impacts-du-changement-climatique-sur-les-phenomenes-hydrometeorologiques/changement- climatique-et-hausse-du-niveau-de-la-mer

Notre Planete Info., (2020). Données sur le changement climatique. [En ligne]. Notre Planete Info. [Vue le 15 mars 2020]. Disponible depuis : https://www.notre- planete.info/terre/climatologie_meteo/changement-climatique-donnees.php

Organisation Internationale pour les Migrations., (2008). Migrations et changements climatiques. Serie migration research de l’OIM n°31

Piguet, E., (2011). Changements climatiques et migrations : quels risques, quelles politiques ? In: A. Colin, ed. L’information géographique 2011/4. (Vol.74). pp 86-109.

Rodriguez J., Vos. F., Below. R.; Guha-Sapir. D., (2009). Annual Disaster Statistical Review 2008, The numbers and trends. Belgique: Centre for Research on the Epidemiology of Disasters.

Schuller M., (2016). Réchauffement climatique et migration. Pour la solidarité European think & do thank.

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