Et si les eaux usées devenaient une source d’énergie ?

Par Lucas David, étudiant ESTA Belfort, 05/2020

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Les eaux usées
Source: Jouregio, Pixabay

Chaque jour, des innovations sont présentées afin d’arriver à un développement durable parfait, c’est- à-dire à répondre au besoin croissant des hommes tout en respectant l’environnement, ou du moins en ne le rendant pas pire.

Il est malheureusement peu probable qu’une unique solution miracle existe. Mais c’est l’addition de petites choses qui pourrait un jour nous conduire à respecter toutes les contraintes liées à l’environnement, tout en anticipant la croissance démographique exponentielle de l’Homme. Ce dernier consacre beaucoup d’énergie et d’argent à trouver un moyen de terraformer Mars tout en “marsisant“ la Terre par les déchets et la pollution générés. Prendre la fuite semble plus simple qu’améliorer son monde.

Prenons l’exemple des eaux usées. Chaque jour, 230 milliards de litres d’eaux usées sont rejetés dans nos océans, soit 730 millions de m3 par an. Or, seulement 10% de ces eaux sont traitées. (Planetoscope 2012)
Cela pollue considérablement, et si l’on amenait les stations d’épurations à être plus rentables, peut- être que cela remettrait en considération le faible volume d’eaux traité. La pile à combustible microbienne pourrait être l’espoir que nous attendons tous.

Microbial fuel cells
Source: Bristol Bioenergy Centree, 2015

Les piles à combustible microbiennes (PCM ou encore biopiles) fonctionnent selon le même principe que les piles à combustibles classiques, mais c’est un biofilm qui fait guise de catalyseurs dans la réaction d’oxydoréduction. Ce biofilm est constitué de micro-organismes de type bactérie, qui vont oxyder les éléments organiques des eaux usées et échanger directement les électrons avec les électrodes. Il est désormais possible de fabriquer de l’électricité tout en nettoyant les eaux usées, car comme la pile à hydrogène, le système ne rejette que de l’eau.

En effet, les bactéries vont briser les molécules organiques par digestion et vont donc relâcher des électrons et des ions H+. Ces ions H+ vont ensuite se diriger au travers de la membrane séparatrice de l’anode vers la cathode, et vont former des molécules 𝐻2𝑂 grâce au dioxygène contenue dans l’air en suivant l’équation suivante : 4𝐻+ + 𝑂2 + 4𝑒− = 2𝐻2𝑂. Dans l’anode, les matières organiques contenues dans les eaux usées vont donc se biodégrader plus rapidement car ce procédé va diminuer fortement leur demande chimique en oxygène (Institut de recherche en agroenvironnement inc., 2013).

Ces piles sont beaucoup moins onéreuses à concevoir, car ce sont les catalyseurs constitués de métaux rares qui représentaient la plus grande part du budget de la pile classique. Dans ce système, si les bactéries sont nourries, alors elle se prolifèrent et se maintiennent, et peuvent être plongées directement dans le milieu à traiter. Le catalyseur est donc quasiment éternel.

Abordons maintenant la notion qui nous intéresse. Une station d’épuration pourrait-elle être autosuffisante, voire rentable avec un tel système à l’heure actuelle ?

Usine de traitement des eaux usées
Source: Frédéric Bisson, 2013

Dans cette enquête, nous allons considérer qu’une seule et même station d’épuration filtre l’eau issue des ménages de toute la population française.

Selon l’IRSTEA (2019), il faut actuellement une puissance de 3kW pour traiter un amas de matières organiques ayant une demande biochimique en oxygène de 1 kg (=kgDBO5) avec une station d’épuration classique. Or, le français moyen produit 114L d’eaux usées par jour contenant 45,6gDBO5 (insee,2014).

D’après l’institut national polytechnique de Toulouse (2013), les prototypes de piles à combustible peuvent, à l’heure d’aujourd’hui, produire 24W par jour et par habitant, soit 1538 MW/j si nous considérons une population de 66,9 millions d’habitants.

En considérant les 3kW/kgDBO5 de consommation pour traiter les eaux usées de manière classique, et que 70% de cette consommation est utilisé pour alimenter les moteurs permettant de sécher les boues obtenues (info-chimie.fr, 2008), il faut donc 54W/jour/habitant pour traiter les eaux usées de nos chers concitoyens. La consommation des moteurs a été évoquée, car elle a été déduite pour arriver au résultat précédent, puisqu’ il n’y aura plus besoin de sécher les boues si l’on utilise un procédé tel que la pile à combustible microbienne.

Nous arrivons donc à un taux d’autosuffisance de 44% (24/54).

Sachant que ces données ont été calculées en fonction d’un rendement datant d’un prototype de 2013, et que des scientifiques font des recherches actives sur la PCM, cela est très prometteur. Il faut aussi garder à l’esprit que les eaux usées ménagères ne sont pas les plus pourvues en matières organiques, et des essais ont été réalisés avec les eaux d’une usine de papèterie, jugée plus riches (Dr Ketep, 2012). Mais d’après l’inventeur Daniel Martin, c’est bien dans les eaux usées domestiques que se situe l’avenir commercial de la biopile.

Mais les eaux usées sont loin de devenir le pétrole de demain.

Données calculées, EDF, INED

Sur le graphique ci-dessus, nous pouvons observer la consommation électrique résidentielle moyenne de 2019, pondérée par les prévisions de la croissance démographique de la France, ce qui donne l’évolution possible de la consommation électrique française selon le temps.

Selon les résultats précédents, la mise en place des piles à combustible permettrait de produire 1538 MW/j, soit 64 MWh, donc les PCM ne permettraient même pas de compenser l’augmentation de la population en 2021, car celle-ci engendrerait une augmentation de 0,6TWh. Mais rappelons-le, elles sont avant tout intéressantes pour épurer les eaux usées.

Il n’y a pas de solution drastique au développement durable, mais le fait d’utiliser nos déchets afin de produire de l’électricité est une piste forte intéressante. Qui plus est, si le traitement des eaux venait à être rentable, cela permettrait de concilier traitement des déchets et profits, et intéresser des investisseurs au point d’en arriver à pouvoir traiter les eaux usées du monde entier.

Références

Bristol Bioenergy Centre, (2015). Microbial fuel cells [image digitale]. [Vu le 11/05/2020]. Disponible sur : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Checking_the_connections_of_Microbial_Fuel_Cells_on_EvoBot.JPG

EDF, (2017). La consommation d’électricité en chiffres [online]. EDF. [Vu le 24/04/2020]. Disponible sur : https://www.edf.fr/groupe-edf/espaces-dedies/l-energie-de-a-a-z/tout-sur-l-energie/le-developpement-durable/la-consommation-d-electricite-en-chiffres

Frédéric, B (2013). Usine de traitement des eaux usées [image digitale]. [Vu le 11/05/2020]. Disponible sur : https://www.flickr.com/photos/zigazou76/9212817942

INED, (2019). Projection de la population de 2013 à 2070 [online]. INED. [Vu le 24/04/2020]. Disponible sur : https://www.ined.fr/fr/tout-savoir-population/chiffres/france/evolution-population/projections/

Info-chimie, (2008). Traitement des déchets : Pacmi innove avec la pile microbienne. [Vu le 24/04/1994]. Disponible sur : https://www.info-chimie.fr/traitement-des-dechets-pacmi-innove-avec-la-pile-microbienne,32456

Insee, (2014). Consommation par habitant : La France au-dessus de la moyenne européenne [online]. Insee. [Vu le 24/04/2020]. Disponible sur : https://www.insee.fr/fr/statistiques/1281366

Institut de recherche en agroenvironnement INC., (2013). Method and system for the bioelectrochemical treatment of organic effluents. Inventeurs : Martin Yves, Dubé Patrick, Hogue Richard, Jeanne Thomas. Appl. 23.05.2013. WO2013/071401Al

Institut national polytechnique de Toulouse, (2013). Pile à combustible microbienne avec cathode facilement échangeable. Inventeurs : Etcheverry Luc, Feron Damien, Erable Benjamin, Bergel Alain, Pocaznoi Diana. Appl. 11.01.2012. WO2013/104725Al

IRESTEA, (2019). Institut de recherches en sciences et technologies pour l’environnement et l’agriculture.

Jouregio. Les eaux usées [image digitale]. [Vu le 11/05/2020]. Disponible sur : https://pixabay.com/fr/photos/les-eaux-us%C3%A9es-extraction-de-sable-2295378/

Ketep, FK, 2012, Docteur en génie chimique, École Doctorale Ingénierie – Matériaux Mécanique Energétique Environnement Procédés Production de Toulouse [Vu le 24/04/2020]. Disponible sur : https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00872058/document

Planetoscope, (©2012). Les eaux usées dans le monde [online]. Planetoscope. [Vu le 24/04/1994]. Disponible sur : https://www.planetoscope.com/eau-oceans/1104-litres-d-eaux-usees-rejetees-dans-la-nature-dans-le-monde.html

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2 commentaires

  1. Bonjour Lucas,

    Avant tout chose, je voulais te féliciter pour le choix de ton sujet ainsi que la rédaction de ton article. Tu as su traiter de façon ingénieuse un sujet toujours en cours de développement en donnant des données qui le rendent presque viable !
    Je soulève cependant deux points :
    – Le traitement par biofilms des eaux usées n’élimine pas les métaux, de ce fait une deuxième (voire plusieurs autres) filtration devra être intégrer dans le processus d’assainissement ce qui va faire gonfler la facture de ses nouvelles stations d’épuration.
    -Même si, ces stations ne sont pas encore totalement auto-suffisantes, des recherches sont en cours pour améliorer le rendement, à lequel on devra encore additionner divers coûts de fonctionnement. Même autosuffisante, elles ne seront peut-être pas rentables c’est pourquoi je me demande quel type d’investisseur pourrait se lancer dans un tel projet…

    Merci encore pour ton travail, j’ai trouvé ça judicieux d’avoir pris en compte l’évolution de la consommation électrique résiduelle dans ton raisonnement.

    Marine

    J’aime

    1. Bonjour Marine,

      Tout d’abord, je voulais te remercier d’avoir pris le temps de répondre à mon commentaire.
      En effet, les bactéries présentent dans le biofilm ne peuvent pas éliminer les métaux et le traitement est coûteux lorsqu’il n’est pas fait à partir des boues. C’est pour cela que j’ai mis en évidence les travaux du docteur Ketep relatant des essais sur des eaux usées de papéterie, eaux ne contenant que des matières organiques en théorie. Cette innovation reste une petite partie de la solution qui se veut être l’association de plusieurs procédés. Un exemple : encore 40% des canalisations françaises sont faites en plomb, qui se retrouve au final dans nos eaux.

      En ce qui concerne la rentabilité du projet, pardonnez-moi d’avoir une vision légèrement utopique. Mais en me basant sur l’évolution du rendement des prototypes de la pile à combustible classique, j’avais envie de dire : pourquoi pas?

      Encore merci d’avoir pris le temps de lire mon article.

      Lucas

      J’aime

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