Par Antoine Deloye, étudiant ESTA Belfort, 05/2020
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Pourquoi se poser cette question?
Au détour d’une conversation entre un élève et un professeur durant un cours d’anglais, l’élève propose une vidéo à étudier dont le sujet était « How Whales Change Climate » (pour voir la vidéo YouTube How Whales Change Climate – YouTube). Ne connaissant pas du tout ce sujet j’écoute attentivement la vidéo en question. Les chiffres annoncés sont effarants. Les baleines peuvent-elles sauver le monde ? Avons-nous découvert une solution des plus naturelles pour nos déchets ? Les baleines ont-elles commencé à manger nos sacs plastiques pour en produire de l’oxygène ? Ce sont (entres autres) les questions que je me suis posées.
Qu’est-ce qu’une baleine ?
Avant toute chose, je voulais me renseigner sur l’animal. Evidemment tout le monde connait les baleines, mais en détails beaucoup moins. J’ai donc appris par Pierre-Yves Frei, journaliste scientifique pour la RTS (2013, RTS), que la durée de vie des baleines varie beaucoup selon les espèces :
« Cela varie d’une espèce à l’autre et il y a beaucoup d’espèces de baleines, environ 75. La baleine à bosse par exemple a une espérance de vie de 30 ans, alors que la baleine bleue, le plus grand animal n’ayant jamais existé sur Terre, peut vivre jusqu’à 80 ans. »
Trésor incontestable de la faune marine, le site web Baleines en Direct (2019-2020) nous apprend que ce sont des animaux migrateurs et ont des régimes particuliers selon les espèces. En termes clairs, j’ai appris beaucoup de choses, sans en apprendre. Il existe beaucoup d’informations, sur plusieurs espèces. J’ai donc décidé de concentrer mes recherches sur la baleine bleue.
La baleine bleue
J’ai appris que la baleine bleue est le plus grand mammifère terrestre. Cet immense animal ne mange que du phytoplancton. C’est une espèce migratrice vivant jusqu’à 80 ans. Chaque information la concernant n’est en aucun cas comparable avec notre taille humaine. J’étais donc repu d’informations concernant cet animal, je pouvais alors m’attaquer au vif du sujet : qu’en est-il des pouvoirs miraculeux de ma baleine bleue ?
Ce que j’ai découvert
L’article de L’IMF
J’ai donc comparé les différentes sources de plusieurs médias relatant la même chose au sujet de ces baleines. J’ai découvert que l’International Monetary Fund (IMF-2019), grâce à la collaboration de plusieurs auteurs, a écrit un article sur la pertinence de la sauvegarde des baleines Chami et al. (2019). J’y ai donc appris énormément de choses. Tout d’abord que le CO2 que nous rejetons attaque nos écosystèmes et que l’IMF travaillait à trouver des solutions pour réduire ces émissions. Mais le problème soulevé dans l’article est souvent le budget pour entreprendre cette mission. L’article débute en expliquant que l’augmentation de la population des baleines (notamment des grandes) serait un bienfait pour l’environnement. Ainsi, appuyer ou créer des démarches pour leur sauvegarde est une solution pour réduire nos émissions de CO2. L’article explique qu’une baleine accumule du CO2 tout au long de sa vie, et meurt en enfouissant en moyenne 33 tonnes de CO2 (pendant des siècles). Alors qu’un arbre n’en capte lui, que 22 kilos par an. J’y apprend également que la population des grandes baleines aurait énormément diminué, notamment à cause de leur chasse excessive, ce qui influerait énormément sur la capacité de ces dernières à nous rendre service.
Le plancton et les baleines
Animaux microscopiques, embryons de crustacés et autres agglomérations animales ou végétales minuscules, c’est la ressource principale de nourriture des grandes baleines (Plancton du Monde 2011). Le plancton se nourrit des excréments de baleines. Il existe ainsi un cycle entre ces deux espèces que l’on peut qualifier de symbiose. Mais le phytoplancton correspond également à 50% de notre source d’O2, en absorbant 37 mégatonnes de CO2, soit environ 40% de notre production. Une absorption d’une telle quantité de CO2 est équivalent à 1 700 milliards d’arbres.
Les baleines
Elles étaient entre 4 et 5 millions en 1920 et on estime leur population à 1,3 million de nos jours Chami et al. (2019). Comme expliqué précédemment, l’article évoque un cycle entre ces deux entités que sont le phytoplancton et la baleine. Si la population de phytoplancton augmentait de 1% (grâce aux baleines donc), cela équivaudrait à 2 milliards d’arbres supplémentaires pour la planète. Mais ces trésors marins sont en danger à cause de la pollution (marine, sonore…) mais aussi, et surtout, directement par l’Homme (chasse et collision avec les bateaux) Chami et al. (2019).
Economiquement, une baleine, c’est cher
IMF oblige, l’article aborde également l’aspect monétaire de la baleine. Les auteurs expliquent que les recherches économiques pour déterminer le prix d’une baleine prennent en compte : la capacité au stockage du CO2, le prix du CO2 et l’écotourisme ; le tout basé pour une grande baleine. Ils arrivent au résultat de 2 millions de dollars par baleine, soit environ 1000 milliards de dollars pour les grandes baleines Chami et al. (2019).
En résumé, l’article se base surtout pour les grandes baleines, c’est-à-dire les espèces de baleines se nourrissant majoritairement de phytoplancton et ayant des capacités de stockage de CO2 élevées. Ils arrivent facilement à la conclusion que certains organismes (ONG, associations…) existent déjà pour sauver les baleines, et que ces animaux ne sont pas une solution pour notre salut environnemental. Mais j’ai voulu mener ma propre enquête au sujet des grandes baleines, les baleines bleues puisque ce sont elles les vrais moteurs de cette théorie.
L’élément de réponse à la conclusion du IMF
Pollution mondiale
Avant d’expliquer mon analyse, j’aimerais vous présenter l’évolution et l’estimation de notre production de CO2 sur plusieurs centaines d’années. Climate Interactive, Climate Scoreboard (2017) nous propose une estimation sur 100 ans selon plusieurs scénarios envisagés, allant de l’estimation simple par rapport à notre situation actuelle (BAU : Business as Usual) jusqu’aux scénarios les plus favorables (remarquons que l’étude ne fait pas de scénario pire que notre situation). Le nom des scénarios est affiché sur le graphique ci-dessous. Ils sont disponibles sous le même nom sur le site internet.

Qu’en est-il de la baleine bleue?
Avant toute chose, je devais connaitre la population de baleines bleues dans le monde. Pour ce faire, c’est l’International Union for Conservation of Nature (2018), grâce aux données de « The IUCN Red List of Threatened Species » – concernant l’espèce Balaenoptera musculus ssp. Intermedia – qui m’a permis d’accéder au recensement de la population. Grâce à leurs chiffres, j’ai pu déterminer une estimation, selon les 30 dernières années, de la population de l’espèce.

145 000, c’est le nombre d’individus ayant vécu en 1920, avant la chasse de cette espèce. Aujourd’hui leur population est estimée à environ 3750 individus. On constate que leur population augmente, mais avec une faible croissance, et ce depuis seulement une trentaine d’années. Si on se fie à la courbe de tendance donnée par le graphique, dans 100 ans (2120), ces baleines seront au nombre de 14600 individus. Leur population est équivalente à 2,6% de leur population de 1920 (d’après les calculs de l’auteur). En 100 ans, nous avons diminué de 97,4% la population de cette espèce, augmenté de 817% notre production de CO2, et totalement modifié son habitat.
Mais pour nous, ça représente quoi ?
Partons du principe qu’un français soit responsable chaque année de la production de 4,42 tonnes de CO2 (Citepa, 2019). Une baleine engloutissant 33 tonnes de CO2 à sa mort, la population actuelle pourrait rendre service à seulement 123 750 français, soit la population de la Creuse en 2020 (INSEE, 2020). Il faudrait que ces 3750 baleines meurent immédiatement (ce qu’on ne souhaite pas évidemment). Il faudrait également qu’elles soient toutes à l’âge adulte pour être en capacité d’absorber 33 tonnes de CO2 à leur mort (d’après les calculs de l’auteur).
Selon l’estimation la plus favorable pour notre avenir écologique, nous produirons 920 millions de tonnes de CO2 en 2100 (Climate Interactive, 2017). Or la population de baleines bleues sera de 12 378 individus. Leur absorption en CO2 sera équivalente à 569 349 tonnes, soit 0,06% de nos émissions (d’après les calculs de l’auteur). Si on tient compte qu’une baleine bleue peut vivre (au maximum de sa longévité) jusqu’à 90 ans, par un rapide calcul de tableau, nous trouvons la date absurde que vers l’an 82 240, il y aurait assez de baleines, vivantes et mortes, pour subvenir à nos besoins français. Ce qui est inconcevable. En revanche, nous pouvons voir sur le graphique suivant, l’évolution de « l’amortissement » de la production de CO2 (en nombre d’individus) pour les baleines bleues jusqu’au retour de leur population avant 1920, soit 145 000 individus (espéré en 3300 selon l’estimation).

Mon avis à ce sujet
Pour répondre à la question du titre précédent : pas grand-chose. Pour plusieurs raisons :
- La première est évidemment le scénario, c’est un scénario utopique de production de CO2.
- Les différences d’échelles sont colossales : la Creuse ne représente que 0,18% de la population française, soit 0,0016% de la population mondiale (INSEE, 2019),
- L’évolution de la population des baleines bleues n’est pas assurée comme selon l’estimation.
Beaucoup de variables, avec des échelles pas adaptées. Là où je veux en venir, c’est que le fait d’utiliser un élément tel que les baleines, si fragile, en guise d’excuse et d’alternative à nos bêtises écologiques n’est pas une bonne idée et est une mauvaise initiative. L’article de l’IMF (2019) est très clair à ce sujet et relate le fait que c’est utopique (et met surtout en avant un problème financier). Mais c’est bien la reprise de cet article par des médias de masse (BRUT (2019), Géo Magazine (2019), et autres), qui peut laisser penser que ces baleines (toutes espèces confondues) sont un espoir à la portée de notre génération. Cependant il n’en est rien.
Nous l’avons bien vu avec les baleines bleues, espèce la plus importante de cette supposition. Les résultats présentés ne sont pas envisageables comme étant « une solution », « une alternative » à nos problématiques écologiques.
Mais rassurons-nous, d’après l’article source (IMF, 2019), la population originelle de grandes baleines (baleines bleues et autres espèces) de 145 000 individus était/sera capable d’absorber 1,7 milliard de tonnes de CO2, soit 3% de notre production actuelle. Mais quand ?… Cet article a pour but de mettre en lumière le fait que la conservation des baleines, qui sont un milieu naturel de stockage et d’absorption de CO2, est primordiale pour la sauvegarde des espèces ainsi que pour notre impact sur l’environnement. La façon dont sont avancés les éléments dans des articles grands publics ne reflète pas forcément la réalité, et encore moins des solutions viables. Mais grâce à l’IMF, vous savez maintenant qu’il est possible d’acheter une baleine.
Références
Chami R, R.C, et al., (2019). Nature’s Solution to Climate Change[online]. International Monetary Fund. [28/04/2020]. Disponible au lien: https://www.imf.org/external/pubs/ft/fandd/2019/12/natures-solution-to-climate-change-chami.htm
Cooke, J.G. 2018. Balaenoptera musculus ssp. intermedia. The IUCN Red List of Threatened Species 2018: e.T41713A50226962, https://www.iucnredlist.org/species/41713/50226962
Citepa, (2017). Citepa. [28/04/2020] Disponible au lien : https://www.citepa.org/fr/2019-co2/
Fondation Charles Leopold Mayer, FPH, (2011). Module de formation plancton [online]. Plancton du Monde. [28/04/2020]. Disponible au lien : http://www.plancton-du-monde.org/module-formation/plancton_03.html
Frei P-Y, (2013). Quelle est l’espérance de vie d’une baleine ? [online]. Radiotélévision Suisse. [28/04/2020]. Disponible au lien : https://www.rts.ch/decouverte/sciences-et-environnement/animaux-et-plantes/4643979-quelle-est-l-esperance-de-vie-d-une-baleine-.html
Gurdjian, CG., (2019). Les baleines seraient bien plus efficaces que les arbres pour absorber le CO2. [online] Geo. [28/04/2020]. Disponible au lien : https://www.geo.fr/environnement/les-baleines-seraient-bien-plus-efficaces-que-les-arbres-pour-absorber-le-co2-197717
Institut National de la Statistique et des Etudes Economique, INSEE, (2020). Dossier Complet Département de la Creuse (23) [online]. Institut National de la Statistique et des Etudes Economique [28/04/2020]. Disponible au lien : https://www.insee.fr/fr/statistiques/2011101?geo=DEP-23
Johnston, E.J, Climate Interactive, (2017). Climate-Scoreboard-Output-102017-to-share [xlsx], https://www.climateinteractive.org/analysis/climate-scoreboard-update-national-plans-lead-to-3-4c/
Les baleines, une arme contre le réchauffement climatique ? – YouTube. Disponible au lien : https://www.youtube.com/watch?v=Y3P-IN1YWJo
Picher-Labrie J., (2019). Les traditions migratoires des baleines bleues [online]. Baleines en direct. [28/04/2020]. Disponible au lien : https://baleinesendirect.org/les-traditions-migratoires-des-baleines-bleues
Bonjour Antoine,
Merci pour le travail de ton article, il est très intéressant de voir l’impact que notre faune (même les espèces insoupçonnées comme les baleines) a sur le cycle de nos émissions, comme le CO2.
Également il est étonnant de voir que le plancton libère 50 % de notre 02, même si comme tu le dis, même si cela n’est pas réalisable, mais si la population de baleine augmente drastiquement cela ne va t’il pas déséquilibré cette production ? Tout d’abord, quand tu parles du pouvoir de la baleine à stocker le CO2, m’interpelle. Cela, voudrait-il dire qu’une fois décédé la baleine relâcherait le CO2 ? Ou elle l’absorbe et le transforme en autre chose ?
Également il est étonnant de voir que le plancton libère 50 % de notre 02, même si comme tu le dis, même si cela n’est pas réalisable mais si la population de baleine augmente drastiquement cela ne va t’il pas déséquilibré cette production ?
Merci encore pour ton travail sur un sujet très peu connu !
Amaia
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Bonjour Amaia,
pour répondre à votre première question, je ne pense pas. Le plancton se reproduit très rapidement si les conditions le permettent. La population de baleines augmentant, les ressources pour le plancton aussi. Je ne suis pas biologiste et ne peut vous répondre précisément, mais pour ce qu’il y est de la pérennité du plancton dans nos mers (avec les baleines), nous pouvons faire confiance à cette symbiose.
Les baleines stockent du CO2 tout au long de leur vie. A leur mort, la baleines est une stockeuse de CO2 naturelle. Le CO2 est relâché à de grandes profondeurs, et très progressivement sur des dizaines (voir centaine) d’années. J’espère avoir répondu à vos interrogations.
Je vous remerci encore pour votre commentaire.
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