Sommes-nous tous égaux face à nos déchets ?

Par Marine Hamm, étudiante ESTA Belfort, 05/2020

Mots-clés: #Déchets #Recyclage #Traitement

A l’instar du métro boulot dodo un autre enchainement, peu revendiqué mais pourtant bien réel, pourrait s’apparenter à supermarché-cuisine-décharge. Peu de français manquerait le rendez-vous hebdomadaire (ou bihebdomadaire selon les collectivités ou maire) du passage du camion collecteur de déchets. Pourtant les déchets ménagers et assimilés, souvent pointés du doigt ne sont qu’une part minimale des ordures produites à l’échelle nationale.

Selon l’ADEME, Agence de la Transition Écologique, on qualifie de déchet ménager tous les déchets produits par les ménages, dans la vie quotidienne. Le terme « assimilés », quant à lui, englobe les déchets des petits commerçants et restaurateurs résultant de leurs activités professionnelles. Cela regroupe les déchets non recyclables ou pas encore recyclés, les déchets recyclables secs (journaux, papier, carton) ou les recyclable dits humides, organiques (déchets alimentaires) mais aussi les encombrants et les déchets verts.

Aussi d’après l’ADEME en 2016, en moyenne nous avons produit 4,6 tonnes de déchets par habitant. Seulement 568kg de ce chiffre sont associés à des déchets ménagers, contre 700kg de déchets produits par les entreprises et 3400kg de déchets produits par les entreprises du domaine de la construction. Bien que peu ragoûtant pour la plupart des Français, ce sujet est pourtant un levier indispensable dans la transition vers un modèle économique circulaire [1]. De ce fait, le traitement des déchets a un impact environnemental et énergétique indéniable à prendre en compte dans une prise de conscience collective pour un avenir plus propre.

Dès lors, il serait opportun de se pencher un instant sur la place de la France au sein de l’Union européenne quant à sa production de déchets, plutôt bon ou mauvais élève ? De ce fait, il est intéressant aussi d’évaluer les directives du gouvernement pour analyser les disparités au sein même du territoire français métropolitain.

Les disparités dans l’Union européenne

Le traitement et la réduction des déchets étant des problématiques mondiales, l’Union européenne (ici l’UE des 28 car les données utilisées datent de 2016 et prend en compte le Royaume-Uni) suit des actions et des principes communs afin d’assurer une homogénéité dans les dispositions prises par les États membres. D’après le site Toute l’Europe (2019) on compte par ailleurs la directive cadre sur les déchets de 2008 et actualisée en 2018 avec comme philosophie globale : une collecte séparée des déchets biodégradables ou recyclage à la source dès 2024, 60% de recyclage des déchets municipaux et 70% des déchets d’emballage pour 2025 ou encore atteindre 65% de recyclage des déchets municipaux

Pourtant, de fortes disparités peuvent être perçues entre les pays, ces différences peuvent être expliquées par une différence significative de PIB (Produit intérieur brut) par habitant. Le PIB par habitant se calcule en divisant la valeur du PIB par le nombre d’habitants d’un pays. Alors que le PIB sert souvent d’indicateur de l’activité économique d’un pays, le PIB par habitant reflète plutôt le niveau de vie des habitants et donc le niveau de développement du pays.

En comparant de façon simultanée le PIB par habitant en SPA [2] avec la production de déchets par habitant des États de l’Union européenne en 2016, on ne remarque aucune corrélation frappante. En effet on ne peut malheureusement pas court-circuiter le raisonnement en pensant que plus un pays est riche, plus ses habitants vont consommer et donc plus produire de déchets.

Cependant ce graphique nous apporte quelques éléments intéressants, d’une part la France se situe dans la moyenne en termes de production de déchets par habitant (4,8 tonnes par français contre 4,9 tonnes par européen en moyenne). D’autre part, on remarque des pics qui mettent clairement en lumière des pays comme le Luxembourg, la Finlande ou encore l’Estonie. Avons-nous trouvé les populations les plus mauvaises élèves de l’UE ?

Pour pousser plus l’analyse, il est possible de mettre en avant la part de déchets ménagers et assimilés dans la production totale de déchets d’un pays

Ce deuxième graphique vient bouleverser les premières constatations mises en évidence précédemment. Si l’on se penche sur les trois pays (Luxembourg, Finlande et Estonie) on remarque qu’ils détiennent pourtant l’une des plus basses parts de déchets ménagers et assimilés dans leur production totale de déchets, respectivement 6,3%, 1,5% et 1,8%. Autrement dit, les ménages luxembourgeois ne sont responsables qu’à hauteur de 1,8% de ce pic gigantesque.

Comme mentionné plus tôt, la plupart des déchets produits dans un pays proviennent de l’activité industrielle et plus particulièrement celle du domaine de la construction.

La preuve est qu’il est bien complexe de porter un avis tranché sur un sujet où tant de variables rentrent en jeu. Par exemple, la masse de déchets ménagers par habitant au Luxembourg est biaisée par le fait qu’un nombre conséquent de frontaliers rentrent chaque jour dans le pays (et par conséquent consomment) sans pour autant être comptés comme résidents du pays. Dans une autre mesure, même si on décompte moins de déchets à Chypre que dans d’autres pays, l’impact environnemental n’est pas comparable entre un pays qui incinère ou met en décharge 80% de ces déchets et un pays comme l’Allemagne qui recycle 47% de ces déchets ménagers par exemple.

Bien que la mondialisation lisse les habitudes de vies des habitants des différentes nations, leur comportement quant à eux face au traitement des déchets montrent de forte disparité.

La France, qui est étroitement proche de la moyenne européenne, serait un pays intéressant à analyser pour comprendre ce qu’il s’y passe à l’intérieur de ses frontières.

Les Français sont-ils tous logés à la même enseigne ?

Dans sa transition vers une revalorisation plus écologique de ses déchets, la France métropolitaine n’opère pas un changement drastique et radical pour ses habitants mais opte pour des changements, par étape, aux échelles des collectivités territoriales. Ainsi, selon où les français habitent, ils doivent payer une taxe ou une redevance pour le traitement de leurs déchets par exemple.

La TEOM (Taxe d’enlèvement des ordures ménagères) est à payer par le propriétaire d’une propriété d’un logement, calculée comme la taxe foncière c’est-à-dire en fonction la moitié de la valeur locative cadastrale [3] de la propriété selon le site officiel du gouvernement, en 2020. Alors que la redevance d’enlèvement des ordures ménagères (REOM) est à payer uniquement si vous utilisez le service d’enlèvement des ordures ménagères. La redevance est calculée en fonction de l’importance du service rendu (volume des ordures et déchets enlevés notamment ou par le nombre de levée par mois) selon le site du gouvernement.

En 2016, d’après RTL Info (2016), 4,5 millions de français, soit 6,7% des français, dans 190 collectivités, payent en fonction de leurs déchets, ce qui a fait baisser de près de 40% la proportion de déchets ménagers et à inciter les Français à recycler (levée gratuite des sacs).

Dans une autre mesure, la France propose près de 1800 déchetteries [4] accessibles pour le dépôt des déchets volumineux, payantes ou avec un système d’un nombre ou d’un poids autorisé par ménage. Cependant on ne dénombre pas moins de 580 déchetteries sauvages signalisées en France qui sont des dépôts clandestins de déchets réalisés par des particuliers ou des entreprises, sans autorisation communale, et sans autorisation préfectorale. Il ne semble pas invraisemblable de penser qu’il existe une corrélation possible face à ces comportements. C’est pourquoi la carte de la France ci-dessous est une superposition de deux cartes : celle du nombre de déchetteries par département et la tendance de la localisation des déchetteries sauvages.

Selon les données de Franceinfo et l’Ademe consultés le 12/04/2020 et les calculs de l’auteur

On remarque dès lors qu’une disparité entre les habitants des différents départements est perceptible. Trois zones de « non-droit » se détachent de cette illustration : la région Ile de France, le Var et le Nord. Bien que dans le Nord et le Var le nombre de déchetteries est l’un des plus élevés en France, dans le Var leur gestion chaotique est pointée du doigt et pourrait expliquer ce nombre accru de dépôt sauvage. En effet, Dans l’ouest du Var, seulement quatre déchetteries acceptent d’accueillir les matériaux de chantier.

Dans le Nord, c’est le comportement des riverains qui est mis en cause en voulant faire des économies. En périphérie de Paris est dénombrée une forte quantité de dépôts sauvages, dû à la difficulté de trouver une déchetterie et quand cela est possible, les prix restent plus élevés que dans le reste du pays, selon Ecodrop (2020).

En somme, d’un pays ou d’un département à un autre, les ressources et directives mis en place pour la valorisation des déchets ménagers ne sont pas égales et les habitants peinent à changer leur habitudes (par mépris ou par manque d’argent).

Avant de jeter la pierre aux ménages il faut prendre conscience qu’améliorer la prise en charge des déchets ménagers c’est avant tout un travail en amont de la chaîne de production, en utilisant des matières premières facilement recyclables et en évaluant la pertinence des emballages avec l’engagement des entreprises, bien sûr. La poubelle « noire » serait moins rapidement remplie si les français n’étaient pas contraints d’acheter des aliments sur-emballés. Le dentifrice protégé dans son tube n’a vraisemblablement pas besoin d’une boite en carton et encore moins d’un film plastique sur le dessus. Bien sûr il en va d’un effort commun de privilégier les contenants réutilisables au détriment de sachet plastique dans la vie quotidienne ce qui demande parfois un peu plus d’organisation.

[1] L’économie circulaire désigne un modèle économique dont l’objectif est de produire des biens et des services de manière durable, en limitant la consommation et les gaspillages de ressources (matières premières, eau, énergie) ainsi que la production des déchets.

[2] Standard de pouvoir d’achat, unité de mesure facilitant les comparaisons internationales

[3] Loyer annuel que la propriété pourrait produire si elle était louée.

[4] Lieu aménagé pour recueillir et traiter les déchets.

Références

Ademe (Mis à jour 2020) – Les Types de déchets – En ligne – Consulté le 12/04/2020 – Disponible à partir de : https://www.ademe.fr/expertises/dechets/quoi-parle-t/types-dechets

Ademe (Mai 2019) – Le Mag n°125 – En ligne – Consulté le 12/04/2020 – Disponible à partir de : https://www.ademe.fr/sites/default/files/assets/documents/ademe_le_mag_n125_faits-et-chiffres.pdf

Ademe (Mars 2019) – Déchets Chiffres Clés – En ligne – Consulté le 12/04/2020 – Disponible à partir de : https://data.ademe.fr/reuses/sinoe-(r)-nombre-de-decheteries-(avec-gravats)-par-territoire-en-2017

Ademe (Mis à jour le 25/03/2020) – SINOE Nombre de Déchèteries (avec Gravats) par territoire en 2017 – En Ligne – Consulté le 12/04/2020 – Disponible à partir de : https://data.ademe.fr/reuses/sinoe-(r)-nombre-de-decheteries-(avec-gravats)-par-territoire-en-2017

Ecodrop (2020) – Les prix des déchèteries en Ile de France, Ecodrop vous explique – En ligne – Consulté le 14/04/2020 – Disponible à partir de : https://www.ecodrop.net/prix-tarifs-dechetteries-ile-de-france/

Eurostat (juin 2019) – Statistiques sur les déchets – En ligne – Consulté le 12/04/2020 – Disponible à partir de : https://ec.europa.eu/eurostat/statistics-explained/index.php?title=Waste_statistics/fr#La_production_totale_de_d.C3.A9chets

Eurostat (02-2020) – Production de déchets par catégorie – En Ligne – Consulté le 12/04/2020 – Disponible à partir de : https://ec.europa.eu/eurostat/databrowser/view/ten00108/default/table?lang=en

Eurostat (02-2020) – Production de déchets par activité économique – En Ligne – Consulté le 12/04/2020 – Disponible à partir de : https://ec.europa.eu/eurostat/databrowser/view/ten00106/default/table?lang=en

INSEE (27/02/2018) – Pays membres de l’UE en 2016 – En ligne – Consulté le 12/04/2020 – Disponible à partir de : https://www.insee.fr/fr/statistiques/3303302?sommaire=3353488

Service Public (13/11/2018) – Taxe ou redevance d’enlèvement des ordures ménagères – En ligne – Consulté le 12/04/2020 – Disponible à partir de : https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F22730

Service Public (12/2019) – Bilan 2016 de la production de déchets en France – En ligne – Consulté le 12/04/2020 – Disponible à partir de :

Toute l’Europe (11/2019) – Réduction et valorisation des déchets : Que fait l’Europe ? – En ligne – Consulté le 12/04/2020 – Disponible à partir de : https://www.touteleurope.eu/actualite/reduction-et-valorisation-des-dechets-que-fait-l-europe.html

FranceInfo (Mis à jour le 25/08/2019) – Carte décharge sauvage : plus de 580 cas signalés dans toute la France sur #AlertePollution – En ligne – Consulté le 14/04/2020 – Disponible à partir de : https://www.francetvinfo.fr/monde/environnement/alerte-pollution/carte-decharges-sauvages-plus-de-580-cas-signales-dans-toute-la-france-sur-alertepollution_3577785.html

RTL Info – Ordures ménagères : plus de 4,5 millions de Français paient en fonction de leurs déchets – En ligne – Consulté le 14/04/2020 – Disponible à partir de : https://www.rtl.fr/actu/debats-societe/ordures-menageres-plus-de-4-5-millions-de-francais-paient-en-fonction-de-ce-qu-ils-jettent-7783894053

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1 commentaire

  1. Merci Marine pour cet article intéressant et travaillé,
    Il met en avant une analyse de chiffre approfondie, il n’est en effet pas rare de voir des analyses statistiques qui ne sont faites qu’en surface et amènent à des conclusion erronées !
    Cette analyse permet de se rendre compte que certains pays ne sont pas aussi blanc ou noirs que pourrait à priori le montrer cette étude et qu’il est important de questionner la provenance et la méthode utiliser pour aboutir à de tels résultats ! 🙂

    Etienne

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