Autosuffisance, Utopie ou réalité ?

Par Clément Brun & Romain Botzkowitz, étudiants ESTA Belfort, 03/2021

Mots-clés : #autosuffisance #alimentaire #énergétique #local #autonomie

L’autosuffisance est un sujet qui a toujours animé les communautés, que cela soit en terme alimentaire, ou énergétique. Souvent considérée comme une utopie, son importance a été resoulignée ces dernières années.

À l’image de nombreux biens, la production alimentaire a connu une décentralisation, y compris à l’international. Nos habitudes alimentaires de plus en plus internationalisées, ne connaissent plus de saisons, ni de frontières, nous rendant dépendants de longue chaines d’approvisionnement. Ces dernières sont en général contrôlées par de grands groupes alimentaires exerçant une forte pression sur les prix d’achats.

Face à ce système, les « locavores » prônent une consommation locale et saisonnière considérée plus éthique et écologique (moins de transport). Suite aux rushs des population dans les supermarchés de peur d’une pénurie de nourriture lors de la dernière pandémie, de nombreuses personnes rejoignent ces rangs. Se pose alors une question Consommer local oui, mais y en a-t-il assez pour tout le monde ?

De la même manière, la production et distribution d’électricité et gaz, malgré les réductions de personnel sur les différents sites a suscité une certaine peur d’une coupure généralisée dans certains départements.

Suivant ces inquiétudes, le nombre de personnes s’intéressant à un mode de vie autosuffisant ne cesse de croitre. Mais quid de sa faisabilité ? Et à quelle échelle ?

« Construire l’autonomie et la résilience »

Cette dernière dizaine d‘années, nous avons pu voir surgir au sein d’une partie des populations, une réelle prise de conscience « écologique » sur le fonctionnement de notre société de consommation actuelle. Avec la croissance des mouvements « bio », « locaux » nous voyons une certaine tendance à la re-ruralisation de la part de famille souhaitant quitter l’atmosphère polluée et l’étroitesse des logements en villes. Combinant tous ces critères, certains foyers misent sur « l’autosuffisance » alimentaire, énergétique et parfois les deux à la fois. Ces familles ont comme objectif de cultiver de façon biologique la très grande majorité des aliments qu’ils consomment quotidiennement qui passe souvent par la « permaculture ».

Figure 1 : Schéma type d’une exploitation (Source : “Permaculture” des Quatre Saisons / Éditions Terre vivante / Joel Valentin)

Jardin, vergers, pêche, élevage d’animaux et de nombreux autres savoirs doivent être mis en œuvre, associés à des techniques de transformation et de conservations (affinage, mise en conserves, salaisons, fumage). Un certain retour aux savoir-faire « ancestraux » est nécessaire pour réussir un tel défi. Bien sûr, la transition est progressive, et rien n’oblige à l’effectuer complètement. Il faut également prendre en compte les contraintes de chacun (finances, espace, temps).

Du simple jardin d’appoint jusqu’à l’accueil d’animaux, il faut avancer par étapes.

Ces contraintes et transitions progressives sont également vraies du coté énergétique. Seconde étape d’une autosuffisance complète.

Un exemple d’autosuffisance énergétique : les refuges alpins.

Figure 2 : Une éolienne à axe vertical et géométrie variable tourne à vitesse constante, sa voilure s’ouvrant lorsque le vent diminue. (Source : refuge de Sarenne)

Isolés de tous réseaux (électricité, gaz, routes), ces refuges ont toujours été au cœur des réflexions écologiques. Beaucoup de ces refuges sont aujourd’hui encore ravitaillés par hélicoptères, en nourriture, gaz et fuel (pour les groupes électrogènes). Certains refuges ont entamé des « transitions écologiques » ces dernières années afin de se rapprocher de l’autonomie énergétique. Panneaux photovoltaïques et éoliennes pour l’électricité, panneaux photo- thermiques pour le chauffage et l’eau chaude et pour certains, mini-turbines dans les torrents voisins. Ces installations sont bien entendues associées à deux facteurs essentiels :

Des installations adéquates associées à des comportements responsables de la part des usagers. En effet, les climats rudes poussent à une isolation plus que performante au niveau des façades et des portes et fenêtres. La production « limitée » d’énergie pousse à l’utilisation de équipements à consommation faible (éclairage, systèmes de chauffages, cuisson…)

À ces équipements se superpose un engagement des usagers pour une consommation responsable. Cet engagement est souvent associé à « l’esprit montagne » des randonneurs et alpinistes identifiés comme un public respectueux de la nature. Mais en réalité, ce respect passe en général par le rappel des règles et la prise de conscience effectuée par les gardiens. Bref, affiches et rappels sont présents des cuisines aux salles de bains et passant par les chambres afin de rappeler que l’eau, l’électricité et l’espace de stockage de déchet ne sont pas illimités.

Rappels que nous oublions souvent une fois de retour chez nous.

Ces technologies ne se cantonnent pas aux refuges de hautes montagnes et peuvent être déclinées dans chaque foyers. Là encore, certaines contraintes apparaissent (finance, espace, localisation). En effet, ces technologies dépendent grandement d’éléments extérieurs et donc de la localisation du foyer (vent, soleil, cours d’eau…).

Et les villes dans tout ça ?

Dans le système qui est le nôtre, le taux de nourritures importées dans nos villes est estimé à 75%. Les problèmes environnementaux et sociétaux que cela engendre sont nombreux. Certaines villes comme ALBI, ont comme objectif de tendre vers une autosuffisance alimentaire. Cela permettrait qu’une ville soit capable d’alimenter sa population exclusivement grâce aux cultures locales et à l’agriculture urbaine. Certaines villes ont fait le premier pas en mettant en place des jardins
« publiques » sur les toits des immeubles. Ce type de production présente de nombreux avantages. Tout d’abord, l’implication des habitants dans l’agriculture locale permet de sensibiliser les habitants sur la difficulté de produire ainsi que de responsabiliser la consommation des ménages. Cela permet également de réduire l’empreinte carbone des villes en évitant l’afflux de véhicules de transport qui entrent et sortent en nombre chaque jour dans nos villes afin d’alimenter les grandes surfaces en produits provenant quelques fois de l’autre bout du continent voire du monde. Dans un second temps, cela permet également d’avoir une sécurité en cas de pénurie alimentaire, les villes ne seraient plus tributaires des grandes surfaces pour nourrir leurs populations. Les coûts de production pourraient être également beaucoup réduits étant donné que l’agriculture locale est souvent issue d’initiatives citoyennes et donc sur la base de bénévolat. Les cultures locales permettraient également aux villes d’avoir le main mise sur leur production et donc d’avoir un contrôle sanitaire sur leurs produits.

La mise en place de ce type de système présente donc de nombreux avantages indéniables. Cependant, la mise en place de ce type de système présente de nombreuses difficultés qui jusqu’à aujourd’hui ont du mal à être surmonté par de grandes communes comme cela a pu être le cas à ALBI. Le problème principal est le manque d’espace. En effet, auto-alimenter une ville en nourriture demande de libérer énormément de place afin d’y installer des cultures… Or, aujourd’hui, ces espaces libres ou à vendre dans nos villes, sont souvent utilisés par des entreprises ou rachetés par la ville afin d’y construire des habitations. De plus, l’auto-suffisance alimentaire nécessite un gros budget afin de mettre en place suffisamment de parcelles cultivables. Or, les budgets se tournent aujourd’hui vers les problèmes énergétiques, sociaux ou encore l’innovation. De plus, pour atteindre l’auto-suffisance alimentaire dans les villes, cela nécessite l’implication de tous les habitants des villes. Or, aujourd’hui, les habitants des villes ne se sentent encore pas tous concernés par ces enjeux ce qui représente un défi majeur pour les communes.

L’autosuffisance alimentaire représente donc de nombreux atouts autant à l’échelle individuelle qu’à l’échelle planétaire, mais pour l’atteindre, il nous faut être beaucoup impliqués à tous les niveaux de la société.

Pour conclure, l’autosuffisance est bien une réalité, elle est à portée de main. Les projets mis en place afin d’atteindre l’autosuffisance à petite échelle ont pour la plupart aboutis. Malheureusement, force est de constater que l’architecture de nos grandes villes n’a pas été pensée pour accueillir des cultures en nombre ou encore des éoliennes et des panneaux solaires. Afin d’atteindre l’autosuffisance à plus grande échelle, il faut que certaines conditions soient réunies. Il nous faut libérer de l’espace et de l’argent afin de mettre en place les infrastructures nécessaires à ce mode de vie. Il nous faut également impliquer les individus dans des projets de tailles et motiver les populations à participer activement à ces projets. Aujourd’hui, Vincent Tardieu re-souligne : « Aucun territoire n’est aujourd’hui en capacité d’être autosuffisant au niveau alimentaire. Et moins encore les villes que les campagnes, où se concentrent quelque 70 % de la population, qui ne disposent que de quelques jours de réserves en cas de crise majeure. »

De plus, il faut bien comprendre que cette tendance reste surtout occidentale, des pays ou la population possède des ressources (naturelles, énergétiques, financières) bien supérieures à d’autres pays en développement. Aux vues de ces nombreuses contraintes la forme d’autosuffisance la plus répandue et la plus facile à mettre en place aujourd’hui reste tout de même celle à l’échelle individuelle.

Références

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Fleury, A and Vidal, R., (2010). L’autosuffisance agricole des villes, une vaine utopie ?[online].La vie des idées. [Viewed 13 February 2021]. Available from: https://laviedesidees.fr/L-autosuffisance-agricole-des.html

Le Hub Smartcity., (2017). SMART CITY ET AUTOSUFFISANCE ALIMENTAIRE : UTOPIE OU RÉALITÉ [online]. Le Hub Smartcity. [Viewed 02 February 2021]. Available from: https://hub-smartcity.com/nos-articles/environnement/smart-city-et-autosuffisance-alimentaire-utopie-ou-realite.html

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20minutes.,(2012). Un refuge 100% énergie renouvelable dans les Alpes, une exception en montagne. [online]. 20 Minutes. [Viewed 14 February 2021]. Available from: https://www.20minutes.fr/planete/environnement/962933-20120629-refuge-100-energie-renouvelable-alpes-exception-montagne

Clolibrislemouvement.,(2020). L’autosuffisance alimentaire en France : c’est possible !. [online]. Colibrislemouvement. [Viewed 01 March 2021]. Available from: https://www.colibris-lemouvement.org/magazine/lautosuffisance-alimentaire-en-france-cest-possible

UICN France., (2013). Les montagnes et la transition énergétique : Etat des lieux des utilisations des énergies renouvelables et enjeux de leur développement sur les territoires de montagne. Paris, France.

Strawbridge, D. and Strawbridge, J., 2020. Vivre en autosuffisance. Larousse.

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10 commentaires

  1. Article captivant dans la mesure où le thème de l’autosuffisance n’est pas un sujet qui est régulièrement posé sur la table. Les limites sont clairement expliquées et montrent à quel point mère Nature, malgré sa toute puissance, ne peut lutter éternellement contre un envahisseur tel que l’Homme…

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  2. Article très bien construit et intéressant. Les avantages de l’autosuffisance y sont bien décrites et bien démontrées, tout autant que pour les limites d’échelles qui nous font prendre conscience de la difficulté de mise en place de tels sujets.

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  3. Vidéo très intéressante ! mais.. si les investissements coûtent très chères.. ou trouver cette source de revenu ? qui en bénéficierais le plus ? ceux qui en ont besoins ou ceux qui on investies ?

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  4. Dans cet article on comprend bien les enjeux mais aussi les limites de la question de l’autosuffisance, cependant au delà des problématique technique et financière il ne faudrait pas surtout changer fondamentalement notre façon de consommer des énergies? Cet aspect-là me semble tout aussi important.

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  5. Article captivant qui pousse à une réelle introspection de soi-même et à notre mode de vie, mais changerons-nous nos habitudes avant qu’il soit trop tard ? Question légitime après la lecture de votre article.

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  6. J’aime beaucoup l’idée d’autosuffisance, c’est un concept intéressant, c’est une autre vision de voir le monde, peut-être qu’un jour nous serons obligé d’employé cette méthode afin de vivre.

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  7. Article qui nous bouscule et nous amène à réfléchir à notre propre mode de consommation. Cependant, dans un monde aussi interconnecté l’autosuffisance parait plutôt utopique dans les pays développés mais reste peut-être envisageable dans des pays moins urbanisés.

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  8. L’autosuffisance est un concept très intéressant. Cela demande toutefois une forte implication qui est malheureusement souvent incompatible avec nos modes et rythmes de vie actuels.

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  9. J’ai appris beaucoup de chose grâce à cette article, mais nous avons un mode de consommation qui est clairement de la surconsommation et pour l’instant c’est tellement ancré dans notre culture dans les pays développé qu’il faudra attendre de longue année pour pouvoir mettre un place ce nouveau mode de consommation qui serai idéal. Je en dis pas que c’est impossible mais j’attend de voir notre évolution!

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